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TOUS ENTRE-PRENEURS

VISIONNAIRES DU 21eme siècle

 

VINCENT LAMANDE   

 

 

Ancien President (CEO) at Ouest Valorisation SAS

 

 

Question : Est-ce qu’on fait de l’innovation comme il y a 20 ans? Comment se préparer pour cette transition en cours vers de nouveaux modèles d’innovation et prendre ainsi part dans la croissance de demain ?

 

Vincent Lamande : Les formes de recours à l’innovation ont changé de manière radicale en vingt ans. Elles se sont raffinées et précisées, avec quelques étapes clés particulièrement marquantes en 15 ans, telles les dispositions sur les incubateurs fin 90, la création de l’Agence Nationale de la Recherche qui opère sur la base d’appel à projets compétitifs, l’élaboration d’un système de financement de la recherche orienté au mérite et concurrentiel, la mise en place du Crédit d’Import Recherche qui octroie une surprime lors d’un recours à la R&D académique, la création des pôles de compétitivités boostant la recherche collaborative avec des laboratoires publics.

 

On est passé d’un système d’innovation par filière initié dans les années 70 encore majoritaire à la fin des années 90, largement dual associant organismes de recherche nationaux et industries technologiques, autour de secteurs de pointe et de grandes entreprises qui réalisent les progrès technologiques. L’écosystème Grenoblois s’est par exemple construit sur ce modèle de grands partenariats pour développer le recherche du CEA avec EDF, Alstom, Areva, ... Dans les années 90, la plupart des universités mettent en place leur propre structure de valorisation, puis début 2000, leurs services d’activité Industrielle et Commerciale pour organiser les partenariats public-privé, étant aidées en cela par des vagues de décentralisation successives.

 

Plus récemment, l’innovation devient la résultante d’une mise en réseau des acteurs. L’enjeu de la proximité géographique, lié à « l’effet campus »,  se surajoute à d’autres dimensions comme la proximité technologique ou industrielle. En 2005, pour conforter cette tectonique en « réseau d’acteurs », les premiers pôles de compétitivité sont labellisés. Les universités expérimentent aussi la mutualisation du transfert de technologie à l’échelle des régions, avec de véritables succès organisationnel, salués par des dispositifs de valorisation de taille plus importante, plus professionnels et plus efficaces.

 

Puis autour de 2010, une profonde refonte du système d’enseignement supérieur et de recherche est mise en œuvre, dont le ciment est l’autonomie des universités, avec la volonté de l’état de faire émerger des pôles d’excellence, via une politique de grand emprunt.  Les organismes et les universités font évoluer leur dispositif de valorisation pour répondre aux besoins du marché, avec l’émergence de nouveaux modèles d’offices du transfert de technologie régionalement intégrés, créés en 2012,  à l’échelle régionale et inter-régionale, sociétés privées à capitaux 100% publics : les SATT, sociétés d’accélération du transfert de technologie.

 

Question : Grâce aux nouvelles stratégies de collaboration avec des laboratoires de recherche, les PME, vous avez contribué à l’émergence d’une nouvelle dynamique d’innovation visant la création de valeur partagée en France. Comment envisager le développement de ce nouveau modèle d’innovation et de création de valeur (shared value) et à adopter une nouvelle « approche entrepreneuriale » (ce mot français qui n’est pas traduit en anglais)

 

Vincent Lamande : Depuis vingt ans, on a pu assister à toutes les évolutions et accompagner les métamorphoses des dispositifs de valorisation. La forme actuelle de structure dont on m’a confié la direction, la SATT Ouest Valorisation, ambitionne de répondre à une partie des questions que vous posez.  Notre défi est d’accompagner la transformation d’un service de valorisation, qui faisait la gestion des partenariats et de la propriété intellectuelle et d’organiser la mutation pour que la SATT devienne un acteur efficient de l’innovation pleinement intégré dans son écosystème. Cela nécessite de nouvelles compétences, une nouvelle organisation, de nouvelles ressources humaines et financières.

 

Les SATT disposent aujourd’hui des outils pour structurer ce lien stratégique de création de valeur entre la recherche et les entreprises, notamment grâce à des stratégies de prises de risque d’investissement au travers du financement de projets de maturation. C’est tout à fait original que la recherche publique et son instrument, la SATT, passe d’une logique de programmation de la recherche à une logique d’innovation et de manière corolaire à celle d’une prise de risque partagée avec des entreprises privées. Les SATT ont des équipes pluridisciplinaires issues du monde académique, de l’entreprise, de sociétés financières pour traduire la science en applications et comprendre les nouveaux besoins des entreprises et des filières. Elles aussi ont la capacité de mobiliser les actifs de propriété intellectuelle et de mener des actions coordonnées avec les partenaires locaux pour organiser les partenariats de recherche, soutenir le transfert de technologie, et la création d’entreprises innovantes.

 

Question : Comment le travail collaboratif avec les laboratoires de recherche et de valorisation peut aider les PME françaises à gagner en compétitivité, attirer des clients (grâce au label Made with French Technology) et des partenaires d’affaires, gagner la confiance des donneurs d’ordre et les aider à gagner des marchés en France et à l’international. Quel est le rôle de ce travail collaboratif pour le développant des réseaux des PME françaises innovantes, réactives et prêtes à vous soutenir aussi les grands groupes sur des secteurs divers tout en prouvant l’utilité des investissements dans la recherche française? 

 

Vincent Lamande : L’European Scoreboard de la Commission Européenne donne chaque année un tableau de bord très instructif du classement des Pays les plus innovants. Dans ce classement, la France est reléguée dans le groupe des « suiveurs » étant décrochée du groupe le plus innovant. Il y a deux raisons principales qui expliquent le décrochement français. La première tient à un niveau d’investissement privé largement inférieur aux leaders identifiés. Alors que les principaux pays de l’OCDE investissent deux euros privés pour un euro public, le ratio est de un pour un en France.

 

La deuxième raison émane du retard important des entreprises françaises en matière de propriété intellectuelle. La capacité de défense des PME françaises sur les marchés internationaux est directement dépendante du socle de propriété intellectuelle qui leur permette de défendre ses produits et services dans un contexte concurrentiel exacerbé.

 

Ouest Valorisation, à l’instar d’autres SATT, offre deux voies particulièrement pertinentes pour pallier une partie de ces points de fragilité des entreprises française : simplifier la relation industrielle par le montage de projets collaboratifs en étant un interlocuteur privilégié négociation des contrats bilatéraux et multilatéraux. L’année dernière, alors que nous étions dans notre première année de déploiement opérationnel, nous avons permis à près de 600 entreprises différentes d’organiser leur ressourcement scientifique auprès de plus de 1000 chercheurs.

L’ambition est de permettre aux entreprises françaises qui le souhaitent, petites ou grandes, d’avoir recours à la recherche publique pour être plus compétitives.

 

Question : Comment peut-on dépasser les « asymétries des processus d’innovation » (asymétries culturelles, de risque, de temporalité) qui semblent opposer les PME, les chercheurs, les grands groupes, les territoires pour créer des opportunités de travail collaboratif favorisant la création d’emplois et de profits ?

 

Vincent Lamande : De notre point de vue terrain, ce qui est essentiel, c’est de « routiniser la relation » afin de limiter les couts de transaction. La proximité géographique et culturelle sont essentielles. Nous essayons d’être proches des chercheurs présents sur tous les centres universitaires que l’on accompagne, soit six en Bretagne et en Pays de la Loire (Angers, Brest, Le Mans, Lorient-Vannes, Nantes, Rennes). Nous rencontrons aussi beaucoup de responsables d’entreprises pour être dans un mode de communication directe et mieux comprendre leurs besoins.  Nous travaillons sur la simplification, par exemple des accords de R&D, que nous essayons de rendre de plus en plus standards en vue d’éviter des temps de (re)négociation couteux. Le travail avec les écosystèmes est également essentiel, notamment pour faire œuvre de pédagogie sur notre démarche et conforter notre positionnement dans la chaine de valeur.

 

Question : Comment démultiplier l’usage des outils de compréhension de la demande nationale et internationale révélant les besoins de la société actuelle ?  Comment faire partager les outils de diagnostic et de co-évaluation pour une compréhension partagée de l’échelle de maturité de la demande par exemple, le DRL - Demand Readiness Level  ( Paun, 2013, Springer Encyclopedia ) ?

 

Vincent Lamande : Aujourd’hui, nous utilisons le DRL, cet outil formidable en routine pour les projets de maturation que nous menons. C’est un instrument tout à fait pertinent et pédagogique. Pour chaque projet de maturation, qu’il s’agisse de fabrication d’un prototype ou d’une preuve de concept, nous faisons une analyse de sept catégories de risques :

-           Les risques scientifiques évalués avec les personnels de recherche des établissements, ils situent l'originalité des résultats et la reconnaissance des travaux sur le domaine scientifique.

-           Les risques technologiques liés au passage de la science à la technologie. On distingue la technologie de la science par sa fiabilité ou sa capacité à être reproductible, dans une ou plusieurs applications.

-           Les risques juridiques et propriété intellectuelle liés, aux contrats, à la propriété intellectuelle, la liberté d'exploitation et la capacité de détecter la contrefaçon.

-           Les risques marchés liés à la taille, attractivité, compétition, modèles d'affaires.

-           Les risques financiers liés à l'intensité capitalistique, accès aux investisseurs, réalisme financier du projet.

-           Les risques industriels liés à la complexité de la chaine industrielle, la règlementation, l'adoption des usages, le respect de l'environnement.

-           Les risques humains basés sur l’évaluation de la capacité de l'équipe SATT à gérer le projet, la connaissance de l'équipe de recherche du domaine industriel ciblé, l’existence d’un porteur de projet crédible.

 

Sur cette base, nous élaborons un programme de maturation pour lequel nous estimons le niveau de TRL et de DRL initial, et celui que nous ambitionnons d’obtenir en fin de programme. Nous présentons ces éléments à notre comité d’investissement, réunis tous les deux mois, et qui est informé pour chaque projet des niveaux de TRL et DRL avant investissement et l’impact attendu du programme sur ces deux indicateurs. 

 

Un travail de vulgarisation auprès des entreprises reste à poursuivre, mais nos échanges sont tout à fait encourageants en ce domaine avec les entreprises avec lesquelles nous avons présenté l’outil, et qui apprécient particulièrement le fait que la recherche publique appréhende enfin cette notion de « market pull » et se soustraie progressivement au dictat du techno push, monnaie courante dans les milieux scientifiques.

 

Question : Cela fait plusieurs années que vous participez grâce à votre travail à l’évolution des modèles d’innovation français visant la création de valeur partagée. Quel est souvenir particulièrement agréable qui vous rend optimiste par rapport à l’importance de cette évolution pour la création de valeur en France ?

 

Vincent Lamande : C’est indéniablement la création des sociétés d’accélération du transfert de technologie en France sont une nouvelle forme de réponse possible de création de valeur. C’est une phase historique en France dont l’objectif est de lutter contre l’émiettement des structures de valorisation de la recherche publique. Les établissements publics de recherche ont fait le choix de fusionner leurs structures entre elles. On simplifie en limitant le nombre de structures. C’est assez nouveau pour être souligné !  Et c’est un vrai courage politique des chefs d’établissements. Avec une seule structure pour le compte de nombreux établissements, on potentialise, on accroit la capacité de négociation et la cohérence. L’autre élément essentiel, pour les SATT, réside dans leur dotation de 900 millions d’euros dans le cadre du programme des Investissements d’Avenir qui leur permet de créer de la valeur sur la base des technos académiques. Là encore, cela ne s’était jamais fait dans le monde à cette échelle de proposer à une structure de transfert de technologie, de procéder à des prises de risques d’investissement de cette nature. Le premier maillon de la chaine du financement de l’innovation est maintenant assuré. Nous travaillons ardemment à son succès, sur la base de ces capitaux patients, par nature, du fait de notre positionnement.  

Lire l'interview dans le livre: 

"Tous Entre-preneurs ! La croissante du 21eme siècle a l'heure entrepreneuriale". Editions L’Harmattan, Dr. Florin Paun, 2014

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