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Livre : "La Nouvelle origine La France, matrice d'une nouvelle forme de modernité? 

 

 

VISIONNAIRES

DU 21eme siècle

 

PHILIPPE LEMOINE

Vice-président de la commission recherche et innovation du Medef

Président, FING

Président- Fondateur du Forum d’Action Modernités

PDG de LaSer

 

 

Question : Est-ce qu’on fait de l’innovation comme il y a 10 ?

 

Philippe Lemoine: Il existe certainement des démarches nouvelles dans le processus d’innovation d’aujourd’hui par rapport aux pratiques d’innovation d’il y a 10 ans. Nous vivons une mutation profonde de notre société et il est important de comprendre ces changements et d’avoir une vision de long terme, de penser l’avenir. Je ne crois pas dans le but de restaurer les vieux mondes. Inventer un nouveau monde correspond plutôt au potentiel des sociétés d’aujourd’hui capable de comprendre et exprimer la qualité collective recherchée dans le travail conjoint des entreprises, des territoires, des laboratoires de recherche, des citoyens. Il faut enlever les cloisonnements pour permettre la création de valeur par l’innovation. Dans ces nouvelles approches de création de valeur spécifiques à l’aube du XXIe siècle, la recherche doit être jumelée avec un effort de réponse à des besoins de la société.  L’approche classique, linéaire de l’innovation incrémentale soutenue par une commande publique à travers des appels d’offres formulés par des fonctionnaires et organisée de manière sectorielle, n’est plus suffisante pour répondre aux enjeux de croissance de notre économie d’aujourd’hui.

 

Si l’on compare les modèles d’innovation suivis dans le secteur des télécoms en France, en Asie et aux États-Unis, on voit des différences importantes qui se traduisent par des impacts contrastés en matière d’emploi. La France a continué de suivre le modèle d’innovation incrémentale qui lui avait bien réussi dans le passé, mais, à ce jeu, l’Asie s’est révélée bien plus forte. Aussi le bilan « emploi » est-il négatif en France et très positif en Asie. Quant aux États-Unis, les équipementiers traditionnels fonctionnant eux aussi sur ce modèle incrémental ont perdu un grand nombre d’emplois. Mais dans le même temps, des nouveaux acteurs sont intervenus avec une logique d’innovation de rupture (cf Smartphone) qui a permis de redresser ce bilan des emplois perdus et créés.

 

Question : Comment aider ces acteurs divers de l’innovation soumis à « des Asymétries culturelles, de risques, de temporalité » à envisager des outils de compréhension et collaboration en dépassant ces blocages issus des pratiques héritées de la période des Trente Glorieuses ?

 

Philippe Lemoine: Cela peut être choquant de le reconnaître, mais aujourd’hui l’acteur majeur de l’innovation est le grand public: l’utilisateur! Les innovations sont générées par l’usage des outils technologiques et les entreprises traditionnelles doivent s’aligner avec les besoins spécifiques de la société numérique en pleine évolution. Les enjeux des entreprises sont directement liés aux enjeux d’usage par exemple comment traiter les masses de données big data, numérisation de la commande publique, comment gérer des systèmes d’innovation du passé avec des outils de virtualisation d’aujourd’hui. D’un autre point de vue, le passée d’innovation incrémentale (qui a prouvé son efficacité lors des périodes de forte croissance en France) fait que les habitudes de collaboration entre les acteurs favoriser le BtoB.

 

Et pourtant, les leviers de croissance sont aujourd’hui directement reliés à cette intelligence collective qui est le consommateur ou l’utilisateur final, donc les approches B to C. On voit bien ces habitudes qui contournent les typologies des acteurs de l’innovation en France parce qu’il y a peu des entreprises de moins de 30 ans dans le CAC 40 en France par rapport aux États Unis ou en Asie. Les interactions entre l’entreprise et les utilisateurs de ses produits ou services ne sont pas le même lorsqu’on a moins de 30 ans, l’âge de ses clients ou bien si on est une institution ancienne qui utilise des consultants pour comprendre et le monde externe et les nouveaux formats de travail collaboratif en interne. L’ Âge des entreprises semble ainsi un handicap face aux opportunités offertes par la société numérique.

 

La clé de la compréhension de cette évolution du modèle d’innovation et de création de valeur est dans la centralité du grand public comme co-acteur de l’innovation et l’importance de développer des capacités et des organisations nouvelles des processus d’innovation pour capter son intelligence collective. Celle–ci se manifeste à la fois dans la diversité des choix, l’interconnectivité des individus, mais aussi dans l’effet d’échelle (scale) au niveau international et de manière désectorisée. C’est à partir du grand public que se font les innovations et s’établissent les nouvelles positions dominantes tandis que les entreprises traditionnelles commencent à peine à s’ouvrir à l’innovation ouverte.

 

Le nouveau cercle vertueux de création de valeur impose de ne pas s’éloigner du marché, mais de préférer tout d’abord les approches BtC et ensuite C to B grâce à des logiques d’innovation ouverte. L’Association de l’Innovation ouverte qui est en cours de création est construite sur ces constats de compétitivité nouvelle basée sur la mutualisation des moyens, mais surtout des connaissances avec paradoxalement une forte dimension territoriale. Plus on s’ouvre dans les approches de création de valeur, plus on a besoin d’un lieu, un territoire comme territoire de confiance. La FING (Fondation internet nouvelle génération) expérimente ces nouvelles dimensions de la valeur créée par l’innovation ouverte grâce à une proximité à la fois géographique et cognitive avec ses clients et ses parties prenantes.

 

L’innovation ne se fait plus dans des bureaux refermés sur un secteur ou un seul produit ou marché. La dimension transversale des approches de l’innovation aujourd’hui demande des lieux des échanges, de coopération, de co-innovation sans se limiter à des approches sectorielles ou territoriales pour autant. La participation des utilisateurs (mais aussi des parties prenantes PME, grands groups, laboratoires) au développement des solutions innovantes demande tout d’abord des capacités et outils d’expression des besoins qui configurent la demande.

 

Ainsi les résultats, au-delà des réalisations technologiques ou transactionnelles, ces nouvelles approches de l’innovation gênent une évolution des mentalités du XXIe siècle: on passe de la mentalité “do It yourself” à “do it together”. En effet dans le manifeste des “Makers” (Chris Anderson) qui à travers la coopération avec les citoyens apporte des réponses à une société industrielle qui n’arrive plus à assurer le plein emploi. En France, il n’y a pas encore d’exemples dans ce sens. Peut-être les approches de certains musés d’art et du design qui utilisent le numérique pour anticiper les besoins et les souhaites des clients et consommateurs impose des stratégies nouvelles pour faire ressortir les besoins non-exprimés toujours issues des échanges et d’un travail collaboratif avec des acteurs des divers départements et des divers secteurs ou parties prenantes. Par exemple, L’ Échangeur, un véritable « incubateur à stratégies professionnelles et un aiguillon pour le débat public » a mis en place un partenariat avec les entreprises et les collectivités territoriales pour promouvoir l’innovation et les usages intelligents de l’Internet auprès des acteurs économiques.

 

Question: Pendant longtemps on a opposé les approches Tech Push aux approches Market Pull. Comment envisager l’innovation en partant des besoins du grand public à travers une « Hybridation Market Pull Tech Push » ?

 

Philippe Lemoine: En France, on ne peut pas dire qu’on a un retard de la part du grand public en terme d’équipement ou des enjeux d’usage. … Depuis des années, on construit des politiques publiques sur la base de l’hypothèse qu’il y ait un retard français et on vise à mondialiser les volontés collectives, le sens de l’histoire même et l’on envisage à anticiper des évolutions pour rattraper ce retard par rapport à d’autres pays. S’il y a un acteur en retard, c’est le monde de l’entreprise en France. On pensait que les PME et le secteur public était préparé à répondre aux besoins de la société numérique grâce à des équipes des designers et ingénieurs informatiques. Les choses ont changé les dernières années et même les grands groupes ne sont pas assez préparés pour saisir les opportunités de cette nouvelle société de consommation – d’utilisation. Pour certaines entreprises ce tsunami numérique menace avec la dissolution. La presse protège cette peur des entreprises qui semblent subir plutôt que d’utiliser à son avantage ces évolutions : “50 start-up qui peuvent tuer votre business” (L’usine Nouvelle), “Pas d’exception numérique!”, etc.

 

Cette situation exprime le fait que nos entreprises ont peur des nouveaux entrants surtout des start-up qui peuvent les concurrencer sur le chiffre d’affaires, mais aussi fragiliser leur positionnement en se mettant au dessus de l’entreprise en interface directe avec le grand public. Ce positionnement très rentable pour les nouveaux entrants qui deviendraient des sur-traitants des entreprises classiques peut venir siphonner le marché des grands groups grâce surtout à des nouveaux modèles de création de valeur basés sur des logiques de smart grids (dans l’énergie ou le marché des compteurs électriques, des solutions dans le domaine de la domotique commencent à redéfinir les logiques de création de valeur partagée entre tous ces acteurs de l’innovation à la fois technologies et d’usage. 

 

Question : Quels sont les outils de compréhension des évolutions du XXIe siècle ?

 

Philippe Lemoine: L’illustration de ces changements est peut-être dans le mot ENSEMBLE! Les stratégies d’innovation n’isolent plus les entreprises, mais les embarquent dans une inversion de la chaine de valeur ou le client est déjà là à coproduire les solutions et surtout à sortir les entreprises de leurs logiques exclusives d’innovation linéaire. Ces schémas verticaux d’organisation interne des entreprises comme un bâtiment qui pour chaque étage a des départements et des missions spécifiques n’est plus d’actualité.

 

Si l’on doit envisager l’organisation et la gouvernance de l’innovation il faut plutôt penser aux autoroutes et aux sorties nombreuses d’autoroutes avec des possibilités de croisement des intérêts des différents départements et des parties prenantes avec un seul but : créer les conditions des rencontres et de l’expression des capacités et des savoirs par rapport aux besoins de nos sociétés.

 

Il faut pousser les parties prenantes à s’allier pour définir des projets ensemble. Les enjeux technologiques, sociaux, culturels ne sont plus à traiter séparément, mais dans leur interconnectivité. Le challenge est maintenant de créer des outils et des systèmes adaptés pour mettre en relation ces multiples facettes de la création de valeur partagée.

Lire l'interview dans le livre: 

"Tous Entre-preneurs ! La croissante du 21eme siècle a l'heure entrepreneuriale". Editions L’Harmattan, Dr. Florin Paun, 2014

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