top of page

NEWS

 

TOUS ENTRE-PRENEURS

VISIONNAIRES DU 21eme siècle

 

ROLAND STASIA 

 

 

Directeur de la Performance et du Contrôle - Innovation & Design chez Renault

 

 

Question : Est-ce qu’on fait de l’innovation comme il y a 20 ans? Comment se préparer pour cette transition en cours vers de nouveaux modèles d’innovation et prendre ainsi part dans la croissance de demain ?

 

Roland Stasia : Je ne suis pas sûr que, sur le fond, on innove totalement différemment d’il y a 20 ans. Regardez ce qui s’est passé pour le post-it de 3M, cela ressemble beaucoup à la succès story du revêtement de la poêle Tefal, innovation qui a finalement beaucoup de points communs avec la réussite plus récente de Nespresso ! Qu’elles aient émergé grâce à la sérendipité, ou qu’elles aient été retardées de plusieurs dizaines d’années par des blocages internes, ces innovations présentent des similitudes et des constantes fondamentalement intemporelles. Bien sûr cette réponse, quelque peu provocatrice, montre simplement que la nature humaine est ainsi faite qu’elle génère et génèrera toujours des idées d’innovation en rupture.

 

Cette apparente constance des processus d’innovation dans la comparaison inter-époques ne résiste pas à la prise en considération de l’évolution des moyens matériels et de communication. L’actuelle capacité des entreprises à maximiser l’intensité et la fréquence de leurs innovations est sans commune mesure avec celle d’il y a 20 ans. Vivre avec son temps, et développer des « visions » pour anticiper un maximum d’évolutions technologiques ou sociétales, est devenu une figure imposée. L’innovation partagée passe bien sûr par l’utilisation des moyens modernes de communication, issus pour l’essentiel de la Net Economie, que ce soit les réseaux sociaux, les moteurs de recherche, les chats, les sms, les smartphones, ou les tablettes. En même temps, il faut bien sûr se méfier de la puissance de ces outils, car ils peuvent provoquer une maladie grave, appelée « Infobésité ». Ce néologisme illustre le fait que l’excès d’informations, associé à ce désordre des moyens de communication, peut conduire à l’immobilisme, à la non-décision, et à la contre-innovation. Je préconise même deux remèdes contre cette dangereuse maladie qui menace nos meilleurs managers:

 

  • développer une culture d’innovation au sein de son entreprise, quelle que soit sa taille, et surtout quelles que soient les fonctions, car une culture d’innovation dépasse la R&D. Elle doit s’étendre au manufacturing, au commerce, aux achats, ainsi qu’à toutes les fonctions support, depuis la DRH jusqu’à la qualité, en passant par la fonction financière et de gestion !

  • créer ou participer à une Communauté d’Innovations, véritable gisement de « pépites » de processus, voire même d’innovations. En effet, le brassage des cultures et des méthodes, obtenu à partir d’une mise en relation ouverte d’entreprises n’ayant aucun rapport entre elles, mixant grandes entreprises, PME, laboratoires, universités, écoles, cabinets de consulting, et organismes d’exécutive éducation, provoque immanquablement une confrontation des idées, génératrice de projets d’innovations pertinents.

 

Question: Votre approche contribue à l’émergence d’une nouvelle dynamique d’innovation en France. Comment envisagez-vous de faire évoluer le modèle d’innovation français pour encourager grands groupes, PME, TPE, laboratoires de recherche et de valorisation et territoire à y contribuer mieux ensemble à la croissance ?

 

Roland Stasia : Mon remède évoqué précédemment illustre tout à fait la réponse à cette question de la collaboration entre labos, grandes entreprises, PME, TPE, et entreprises de secteurs différents. Au-delà de la participation à une Communauté d’Innovations, pas nécessairement reproductible à grande échelle, il existe un moyen particulièrement efficace pour développer cette nouvelle approche entrepreneuriale et partenariale.

 

On met en avant la contribution attendue des directions d’achats, en leur demandant de développer les Co-Innovations avec les fournisseurs. Véritable processus de collaboration innovante, la Co-Innov consiste, en B to B, à rassembler les ressources d’une entreprise cliente avec celles d’une entreprise fournisseur, sur des projets très avancés. En effet, ils se situent en amont de la phase Recherche, et encore plus en amont de la relation classique Client/Fournisseur, aussi productive en coût d’achats court terme, que sclérosante en matière d’innovation.

 

Il s’agit de la rencontre entre deux couples, l’objectif étant de créer de la valeur pour le client final :

- le couple besoins / compétences d’une entreprise-cliente

- le couple roadmaps techno / propositions d’une entreprise-fournisseur.

 

Le contrat de Co-Innov qui en découle est du type « win-win » avec, pour le fournisseur, l’avantage d’une vitrine et d’un engagement du client sur son business, et pour le client, l’avantage d’une exclusivité de l’innovation et de l’engagement du fournisseur sur son QCD [Qualité/Coût/Délai]. La durée de l’exclusivité est contractuellement déterminée.

 

L’absence de flux monétaires pendant cette phase de Recherche commune très amont, associée à un partage équitable de la propriété intellectuelle, garantit la sérénité de la relation et le fort potentiel de réussite de l’opération.

 

Comment le travail collaboratif avec les laboratoires de recherche et de valorisation peut aider les PME françaises à gagner en compétitivité, attirer des clients (grâce au label Made with French Technology) et des partenaires d’affaires, gagner la confiance des donneurs d’ordre et les aider à conquérir des marchés en France et à l’international.

 

Question : Quel serait le rôle de ce travail collaboratif pour le développement des réseaux des PME françaises innovantes, réactives et prêtes à vous soutenir, vous aussi les grands groupes, sur des secteurs divers, tout en prouvant l’utilité des investissements dans la Recherche française?

 

Roland Stasia : La meilleure réponse est de développer le concept d’Effet de Levier en R&D. Cette méthode consiste à faire travailler ensemble les PME, les start - up, les écoles et les grandes entreprises, dans le cadre de programmes financés répondant aux appels à projets des Pouvoirs Publics. Cette démarche présente un double avantage pour les partenaires, outre les synergies toujours possibles quand un collectif se déploie :

 

  • 1er avantage: lorsqu’une entreprise développe un projet de Recherche financé par les Pouvoirs Publics, en partenariat avec d’autres entreprises, elle peut encaisser 30% à 50% du coût de son projet, en subventions, et en avances remboursables en cas de succès du projet.

  • 2ème avantage: développer la valeur dite non monétaire de l’Innovation. Cette approche, quelque peu humaniste, des activités de Recherche, consiste à profiter de ces partenariats européens ou français, pour accéder à de nombreuses informations techniques et de procès, gratuitement, si on se donne la peine d’aller les chercher. L’expérience montre en effet que si une entreprise « investit » 100 dans un projet financé en partenariat, elle peut accéder à un potentiel d’informations issues d’un « investissement » global de 400 à 1200, correspondant à la mise de fonds de l’ensemble des partenaires, soit 4 à 12 fois plus que l’investissement élémentaire de l’entreprise.

 

Question : Comment aider concrètement ces acteurs divers de l’innovation soumis à « des Asymétries culturelles, de risques, de temporalité » à envisager des outils de compréhension réciproque et de collaboration (à travers des outils et contrats « de risque et bénéfices partagés ») en dépassant ces blocages issues des pratiques héritées de la période des Trente Glorieuses ? Comment peut-on soutenir le développement d’un nouveau modèle d’innovation visant la création de valeur à travers ces approches entrepreneuriales  du XXIe siècle?

 

Roland Stasia : Depuis l’émergence des différentes formes d’ « Open Innovation », de nombreuses expériences ont montré leur capacité non seulement à effacer ces asymétries, mais aussi à les rendre productives et rentables pour toutes les parties prenantes. Qui aurait dit, il y a déjà plus de 20 ans, que les grands groupes de l’industrie pharmaceutique auraient partiellement abandonné la Recherche et la création de certaines molécules « miracles » à de toutes petites équipes d’ingénieurs et de biologistes indépendants, aussi performants qu’agiles, dans un domaine où, pourtant, la durée des processus de R&D se mesure en dizaines d’années.

 

Dans une toute autre sphère, et néanmoins tout à fait opportunément au regard de la générosité budgétaire du ministère de de Recherche, un bon exemple consisterait à mixer les compétences des grands groupes avec celles des PME, dans le domaine du Crédit Impôts Recherche [CIR]. En effet, depuis la loi de finance 2008 qui a déplafonné le calcul du CIR, en en faisant le système de financement de la R&D le plus performant d’Europe, la majorité des grandes entreprises s’est dotée d’une organisation interne dédiée à l’optimisation de leur CIR. Elle est composée, la plupart du temps, d’un directeur délégué au CIR, d’un contrôleur de gestion à mi-temps, d’un cabinet de consultants spécialisés dans la recherche des activités éligibles, d’un responsable fiscal dédié au CIR, et d’un réseau de correspondants-CIR dans toutes les entités de l’entreprise.

 

Une telle organisation serait beaucoup trop coûteuse pour une PME; aussi, pourrait-on imaginer une assistance à temps partiel de l’équipe CIR de la grande entreprise auprès de la PME, en échange de prestations habituellement sous-traitées par la grande entreprise. Il suffirait de mettre en relation des compagnies précisément compatibles en termes d’activités, et de régler la question des facturations croisées ou pas. Dans tous les cas, les avantages que pourraient en retirer les PME en matière d’optimisation de leur CIR seraient considérables, ce qui en ferait des partenaires renforcés, prêts à faire face à de nouveaux défis en accompagnement des grandes entreprises.

 

Question : Comment faire partager les outils de diagnostic et de « co-évaluation » des projets innovants pour une compréhension partagée de l’échelle de maturité de la demande : Demand Readiness Level – Springer Encyclopedia ?

 

Roland Stasia : Au lieu d’opposer régulièrement les trois stratégies classiques de pénétration des marchés pour favoriser l’Innovation, c’est à dire la méthode « technology push », l’approche « market pull », et la lecture « needseek », il serait préférable de considérer ces trois démarches comme des forces, dont la somme « géométrique » fournirait une résultante très supérieure, en intensité, à chacune des trois forces élémentaires ! Pour accompagner ce sigma des stratégies d’innovation, je verrais tout à fait une mise en ordre des méthodes de génération de la créativité dans chaque entreprise, en trois phases, selon une mission qui permettrait de créer et de développer de nouvelles sociétés de conseil.

 

1. clarifier et partager une vision moyen-long terme, grâce aux Innovation Rooms et à la Veille

Stratégique,

2. booster la créativité provenant du terrain, grâce aux Fab Labs et aux systèmes « Creative People », animés en workflow, en dehors de toute activité officielle.

3. secouer nos propres visions et dépasser nos frontières, grâce aux Communautés d’Innovations.

 

Question : Cela fait plusieurs années que vous contribuez, grâce à votre approche, à l’évolution des modèles d’innovation français visant la création de valeur partagée. Quel est le souvenir particulièrement agréable qui vous rend optimiste, par rapport à l’importance de cette évolution pour la création de valeur en France ?

 

Roland Stasia : Des entreprises comme Air Liquide, Lafarge ou encore Renault ont réussi ces dernières années de spectaculaires percées en matière d’innovations, de quoi rendre optimistes les plus grincheux de nos managers. Si on développe l’exemple de Renault, en tant que seule entreprise B to C parmi les trois précitées, le sponsoring à haut niveau a permis des innovations particulièrement réussies comme la régénération de la marque Dacia, dans le domaine du « low cost branding ».  Un bouquet d’innovations remarquables, réalisées sous la bannière « Renault réinvente la relation entre l’homme et l’automobile », a fait émerger de nombreux succès, comme :

- le « 3D SOUND by Arkamys »,

- « R-Link » et le premier lien commercial embarqué entre l’automobile et le Cloud,

- la « navigation for all » avec le GPS « TomTom » intégré à la planche de bord,

- la nouvelle mobilité avec « Twizy »,

- ou encore « Zoé », première voiture électrique à la carrosserie spécifique.

 

Le spectaculaire reportage diffusé dans le « 20 heures » de TF1 sur l’ « autonomous vehicle », conduit par le Président de Renault autour du Technocentre de Guyancourt, atteste d’un potentiel de progrès considérable, et pas seulement pour les personnes âgées, les handicapés ou les non voyants, mais pour la planète dans son ensemble, car le véhicule est aussi « zéro émission » [ZE].  Dans les domaines hors R&D, l’entreprise Renault a été particulièrement exemplaire en développant ce que j’affirme être de véritables innovations sociales:

- citons le chômage technique des « cols blancs », en 2008, au plus fort de la crise financière, afin d'éviter des dépenses et de développer la solidarité des « cols bleus » versus les « cols blancs »; je crois que ce fut pratiquement une première dans l'histoire de France industrielle, pour une entreprise du CAC 40.

- plus récemment, Renault a signé avec les partenaires sociaux un contrat de compétitivité, "innovant" sur au moins un point: développer la mobilité intersites du personnel, et mutualiser les ressources des fonctions-supports de toutes les usines françaises, afin de viser des gains équivalents à ceux …d'une fermeture d'usine !

 

Ces innovations ont pour la plupart été soutenues par une méthode de pilotage économique de leur développement véritablement innovante, et issue d’une thèse doctorale, conduite en association avec l’école des Mines de Paris. Cette méthode consiste en un « Value Management Model », particulièrement puissant lorsqu’on utilise concomitamment les 3 outils qui le constituent :

- un outil économique, basé sur la capitalisation des coûts et des recettes, et utilisant la simulation de Monte-Carlo,

- un outil stratégique, consistant en un QCM de plusieurs dizaines de questions, classées selon 8 axes

stratégiques,

- un outil d’adhésion, permettant de piloter la consommation des ressources, par l’optimisation des

compétences au service d’une performance « benchmarkée ».

Lire l'interview dans le livre: 

"Tous Entre-preneurs ! La croissante du 21eme siècle a l'heure entrepreneuriale". Editions L’Harmattan, Dr. Florin Paun, 2014

bottom of page