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TOUS ENTRE-PRENEURS

VISIONNAIRES DU 21eme siècle

 

BENOIT THIEULIN 

 

 

Ancien Président du Conseil national du numérique

 

 

Question: Vous avez contribué à l’émergence d’une nouvelle dynamique d’innovation en France. Comment envisagez-vous de faire évoluer le modèle d’innovation français pour encourager grands groupes, PME, TPE, laboratoires de recherche et de valorisation et territoire à y contribuer mieux ensemble à la croissance ?

 

Benoit Thieulin : La France a les moyens de devenir une “start up république”, le pendant européen de la “start-up nation” israélienne qui connait une croissance incroyable en matière entrepreneuriale depuis une dizaine d’années. Le modèle d’innovation doit être réformé en ce sens, notamment sur la question de l’investissement : Israël concentre autant d’investissements dans les startups que toute l’Europe réunie. Dans le même temps, elle a multiplié le nombre de ses diplômés en sciences en 15 ans, mettant à profit le lien direct entre formation et innovation. Autre chiffre marquant, les flux d’investissements directs étrangers représentent 25% du PIB israëlien ! Le modèle européen de financement des startups ne peut plus durer. Nous ne pouvons pas nous reposer sur les mêmes outils pour assurer la compétitivité de nos industries, l’efficacité de nos politiques et l’amélioration de nos sociétés.

 

Question: Est-ce qu’on fait de l’innovation comme il y a 20 ans ou il s’agit d’un nouveau modèle d’innovation français qui soit en train d’émerger depuis quelques années ?

 

Benoit Thieulin : L’innovation s’accélère grâce au numérique. Elle est soutenue par la loi de Moore et l’augmentation exponentielle de la puissance de calcul. Elle profite de la concentration des marchés et de la taille gigantesque de certains acteurs qui prennent rapidement une taille internationale.

 

Les nouvelles formes de financement des entreprises, et notamment des startups du numérique, participent de cette innovation de rupture : en ouvrant le capital, ou en proposant au citoyen de donner ou de prêter ses ressources pour financer un projet, il ne devient pas seulement investisseur, il devient entrepreneur actif. Comme l’atteste l’appétence pour le crowdfunding ou le transport partagé, l’économie collaborative représente un potentiel de croissance énorme pour la France. Rappelons que les montants annuels de financement cumulés via le financement participatif ont doublé en 2012, triplé en 2013 avec une estimation à 80 millions d’euros.

 

Question : Serait-ce alors une nouvelle génération d’entrepreneurs, les entrepreneurs du XXIe siècle, qui est en train d’inspirer les stratégies, les pratiques et les modèles d’innovation et de création de valeur partagée ? Êtes-vous en mesure de convaincre les acteurs du processus de création de valeur et d’innovation qu’il est possible de dépasser les « asymétries des processus d’innovation » qui semblent les opposer pour créer des opportunités de travail collaboratif favorisant la création des emplois et des profits ? Si oui, comment ?

 

Benoit Thieulin : La révolution numérique, opérée ces dernières décennies a eu pour effet de scinder l’économie numérique en deux, permettant l’émergence d’une nouvelle génération d’entreprises et d’entrepreneurs. D’un côté, des entreprises préexistantes à cette révolution qui n’ont pas fait évoluer leur modèle économique. De l’autre, des entreprises directement issues de celle-ci (Google, Facebook, etc.) qui ont profondément bouleversé l’équation économique du secteur et transformé les chaînes de valeur. L’essentiel des revenus se trouve aujourd’hui dans la capacité de ces dernières à créer de la disruption en permanence, grâce à des équipes de designers, de développeurs, et de marketeurs prêts à faire évoluer leurs métiers. Car contrairement aux grandes entreprises qui sont moins agiles, ces jeunes entreprises sont prêtes à toutes les audaces entrepreneuriales pour anticiper et construire des écosystèmes dotés d’interactions, d’interdépendances puissantes.

 

L’enjeu est de faire revenir l’entrepreneur au sein du tissu “traditionnel”, afin de recréer de la disruption au sein de l’industrie. Certaines initiatives sont déjà prometteuses, en témoignent les projets open data développés par l’écosystème poussé par Etalab et Dataconnexions. Avec chaque nouveau projet, ce sont des applications, des services, des informations qui s’ouvrent au citoyen et à l’entrepreneur.

 

Question : Les consommateurs-citoyens ont-ils un rôle à jouer dans les nouveaux modèles d’innovation, à travers les logiques de Market Pull par exemple ? Les producteurs et les innovateurs devraient-ils à votre avis mobiliser davantage les outils de compréhension de la demande nationale et internationale révélant les besoins de la société ?

 

Benoit Thieulin : Les outils traditionnels d’analyse de marché doivent prendre en compte la nouvelle donne de l’innovation, et ne plus seulement valoriser l’industrie traditionnelle. On ne peut plus continuer à raisonner en termes de degré de maturité, car les cycles deviennent trop courts. L’administration Obama a réalisé l’ampleur de ce phénomène, en déployant dès 2009 une stratégie pour l’innovation ambitieuse, axée sur une forte impulsion gouvernementale, soutenue par le secteur privé, et visant à créer des emplois durables.

 

Cette grille de lecture nous impose de renouveler les outils de compréhension de la demande nationale et internationale. L’innovation doit constituer un élément déterminant des choix d’investissements en se gardant toutefois de trop placer la focale sur la R&D et les technologies. Trop souvent a-t-on tendance à ne vouloir financer que des innovations technologiques verrouillables par des brevets alors que l’investissement devrait plutôt être dirigé vers l’innovation dans les business models disruptifs, le design, les modes de gouvernance comme le libre et l’open, etc. Les récentes initiatives françaises, avec la création de la BPI, la réforme du cadre réglementaire du financement participatif, ou encore le Concours Mondial Innovation 2030 sont des signaux positifs d’un changement de paradigme de la part des décideurs publics sur le fait que l’innovation non-technologique est tout aussi importante que l’innovation technologique.

 

Question : Cela fait plusieurs années que vous travaillez à faire évoluer les modèles économiques et d’innovation français dans ce sens. Avez-vous un souvenir particulièrement agréable à nous faire partager ?

 

Benoit Thieulin : En tant qu’entrepreneur, j’ai la chance de découvrir en permanence la richesse de l’innovation en France. La création de La Netscouade et son développement représentent déjà des souvenirs extraordinaires. Mais l’innovation n’est pas seulement en France, aux États-Unis, ou en Israël. L’Afrique représente par exemple un vivier incroyable d’innovateurs et d’entrepreneurs. Ushaidi, outil développé au Kenya en 2007, et permettant de cartographier des données générées sur les réseaux sociaux en période de crise politique, a été utilisée par les Nations-Unies dans le cadre du conflit libyen. Au Rwanda, la start-up Nyaruka développe des services applicatifs sur SMS et aide les États, organisations humanitaires et entreprises. De nombreux incubateurs et espaces de coworking se développent dans les pays francophones, comme au Bénin, au Cameroun, ou encore au Mali. La francophonie peut être un moteur structurant pour développer davantage de partenariats numériques entre la France et l’Afrique.

 

Question : Vous voulez porter cette évolution positive et volontaire des mentalités qui marque le début du XXIe siècle. Comment voyez-vous le modèle d’innovation français dans 20 ans ?

 

Benoit Thieulin : Le numérique tend à distribuer plus largement le pouvoir d’agir, il rebat les cartes par son ouverture et sa décentralisation. Cette dernière doit profiter aux territoires. Un exemple : l’impression 3D, qui laisse entrevoir une reconfiguration du tissu industriel autour d’unités de production décentralisées, moins coûteuses, plus agiles, plus proches des populations et inscrites dans des réseaux eux aussi radicalement différents ! Au lieu de fournisseurs, on trouve une communauté de producteurs connectés, qui s’échangent les plans des pièces directement sur internet. L’impulsion libre et open peut être portée par le territoire. Il s’agit d’ailleurs des modèles d’innovation déployés en Afrique, où l’esprit de collaboration est particulièrement ancré dans les communautés locales.

Lire l'interview dans le livre: 

"Tous Entre-preneurs ! La croissante du 21eme siècle a l'heure entrepreneuriale". Editions L’Harmattan, Dr. Florin Paun, 2014

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