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TOUS ENTRE-PRENEURS

VISIONNAIRES DU 21eme siècle

Patrick Hetzel

Député du Bas-Rhin, Professeur des Universités à l’Université Panthéon-Assas

Membre de l’Office Parlementaire d’ Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, Rapporteur pour avis du budget recherché

 

 

Question: Vous avez contribué à l’émergence d’une nouvelle dynamique d’innovation au niveau territorial. Est-ce qu’on fait de l’innovation comme il y a 20 ans ? Comment envisagez-vous de faire évoluer le modèle d’innovation français pour encourager grands groupes, PME, TPE, laboratoires de recherche et de valorisation et territoire à y contribuer mieux ensemble à la croissance ?

 

Patrick Hetzel: Tout le monde en convient : les retombées économiques de notre recherche sont insuffisantes. Cette absence de corrélation entre une recherche scientifique française, qui reste performante, et la valorisation en entreprises est un problème culturel, propre à notre pays. Si notre pays a le 5e PIB mondial, il occupe le 7e rang pour les activités de R&D mais seulement le 16e pour l’innovation. Le décrochage est sans appel et illustre parfaitement l’une des raisons de la moindre compétitivité économique de la France. Nous devons absolument corriger cette situation si nous voulons rester durablement dans le peloton de tête des pays créateurs de richesse.

 

Les indices français, en matière de publications scientifiques, évoluent de façon intéressante : si leur part relative diminue au niveau mondial, comme pour tous les pays de tradition scientifique ancienne confrontés aux nouveaux pays industriels, leur indice d’impact, c'est-à-dire leur rayonnement, progresse significativement depuis 5 ans.

Pour autant, un véritable continuum entre recherche et innovation, caractéristique des économies dynamiques d’un monde globalisé, reste à établir. Les résultats décevants de la France dans la captation des financements des programmes européens de recherche le confirment.

 

Les études portant sur le système français de recherche et d’innovation convergent toutes vers le même constat : l’accroissement de la performance et de la visibilité de la recherche française passe par la clarification du rôle de ses acteurs, le renforcement de leur autonomie et l’amélioration de la coordination nationale et européenne. Pour ce faire, notre pays a développé un certain nombre d’outils de soutien à l’innovation, sous tous ses aspects, la plupart créés durant la dernière décennie - en particulier dans le cadre du Pacte pour la recherche de 2006 et, on l’a vu, des investissements d’avenir décidés en 2009 - qu’il convient sans doute de mieux coordonner. Renforcer l’innovation c’est à la fois développer l’interface entre la recherche publique et l’entreprise, et la recherche directement effectuée en entreprise.

 

C’est à faciliter les partenariats et renforcer les liens entre recherche publique et entreprises que concourent, hors programme des investissements d’avenir, la mise en place des Alliances, des PRES, des pôles de compétitivité, des instituts Carnot ou les conventions CIFRE. Dans le cadre du programme ont été fondés, dans le même but, huit instituts de recherche technologique (IRT), moteurs des campus d’innovation technologique et les sociétés d’accélération du transfert technologique (SATT), qui ont vocation à regrouper l’ensemble des équipes de valorisation des sites universitaires et à mettre fin au morcellement des structures existantes. Leur présentation détaillée et leurs éventuels financements figurent dans le rapport.

 

Enfin le soutien principal à la recherche directement effectuée en entreprises relève aujourd’hui du crédit d’impôt recherche. C’est un instrument dont l’efficacité est soulignée par les tous les acteurs du secteur, qu’il convient de maintenir et de renforcer. Il est, du fait de la faiblesse des partenariats public privé de la recherche sur projets, le seul levier véritablement efficace pour développer l’innovation en entreprise.

 

L’innovation, pour éclore, a besoin de trouver un écosystème favorable. Cet écosystème est d’abord fiscal. Ceux qui critiquent le crédit impôt recherche ne se rendent pas compte de la férocité de la concurrence pour l’implantation des sites de recherche. Le CIR représente un puissant élément pour retenir la recherche en France.

 

Question: Pensez-vous que ces évolutions sont en train de dévoiler le génome de l’entreprise innovante de demain? Est-ce que le territoire est en mesure de convaincre (à travers des outils et contrats « de risque et bénéfices partagés ») les acteurs du processus de création de valeur et d’innovation qu’il est possible de dépasser les « asymétries » qui semblent les opposer pour créer des opportunités de travail collaboratif favorisant la création des emplois et des profits? Si oui, comment ?

 

Patrick Hetzel: D’abord, stabilisons les systèmes fiscaux, cessons de les modifier tous les ans. Ensuite, la culture de notre administration fiscale doit être modifiée : elle soupçonne toujours les entreprises de vouloir profiter d’un dispositif, alors que les entreprises ne sont pas philanthropiques et que les dispositifs sont instaurés pour inciter l’action entrepreneuriale. Le Crédit Impôt Recherche (C.I.R.) est pertinent puisqu’il contribue à développer l’installation d’équipes de recherche sur notre territoire. La semaine dernière, un des investisseurs chinois d’une entreprise de ma circonscription m’a demandé un nouveau rendez-vous d’affaire, après avoir appris le fonctionnement de notre écosystème. La tendance s’est ainsi inversée dans le Bas-Rhin ces derniers mois grâce à l’innovation qui a permis de créer des emplois.  Si le Président de la République avait, en fin d’année 2013 pris les chiffres de notre territoire, il aurait eu raison : chez nous la courbe du chômage s’est bien inversée et on ne peut que s’en réjouir collectivement. Concernant les modalités de l’innovation, elles sont également entrain de fortement changer. Il n’y a plus uniquement une vision « top down » ou « buttom up », mais l’innovation se développe de façon beaucoup plus « tourbillonnaire ». Il faut donc développer l’esprit d’agilité chez les dirigeants afin qu’ils prennent pleinement leur part dans la stimulation de l’innovation.

 

Question: Serait-ce alors une nouvelle génération d’entrepreneurs, les entrepreneurs du XXIe siècle, qui est en train d’inspirer les nouveaux modèles d’innovation et création de valeur ?

 

Patrick Hetzel: Nous sommes entrain de connaître un monde en très grande mutation économique. La création de valeur a toujours été le moteur de notre système économique, mais elle est en train de prendre une toute nouvelle forme, car la société numérique bouleverse profondément les modalités de circulation de l’information. Il doit y avoir une alliance entre le monde économique et les instances qui créent et diffusent les connaissances. Je pense évidemment à l’enseignement supérieur. Ne perdons pas de vue la stratégie de Lisbonne : élever le niveau de connaissance de nos concitoyens en Europe, c’est vital pour lutter face à nos concurrents dans le monde. Ce qui prend le pas dans notre société actuelle, c’est la capacité à transformer très vite les nouvelles connaissances issues de la recherche en valeur ajoutée. Pour cela, il faut stimuler en parallèle deux leviers stratégiques déjà évoqués plus haut : la rapidité des acteurs et la culture. En France, il nous reste encore du chemin à parcourir, mais il y a lieu de rester optimistes. Les jeunes générations sont capables de relever le défi, mais nous devons tout faire pour qu’ils aient envie de s’investir en France plutôt qu’à l’étranger. Notre problème ce n’est pas seulement de stimuler le « brain drain », mais surtout d’assurer le « brain maintain » en France.

 

Question : Comment aider concrètement ces acteurs divers de l’innovation soumis à « des Asymétries culturelles, de risques, de temporalité » à envisager des outils de compréhension réciproque et de collaboration en dépassant ces blocages issus des pratiques héritées de la période des Trente Glorieuses ? Comment peut-on soutenir le développement d’un nouveau modèle d’innovation visant la création de valeur à travers ces approches entrepreneuriales  du XXIe siècle?

 

Patrick Hetzel: Pour développer des filières, notamment dans des secteurs innovants, la question du financement se pose. Il faudra ainsi s’interroger sur la mobilisation des fonds de l’assurance vie. Par ailleurs, Philippe Salle a insisté sur le problème de la compétitivité coût qui est mis en perspective par le rapport Gallois. Le CICE est plafonné à 2,5 fois le salaire minimum alors que le rapport Gallois avait préconisé un plafonnement à 3,5 fois le salaire minimum. Les industries de l’aéronautique et de l’aérospatial réclament actuellement ce qu’indiquait ce rapport. Sinon, il y a un vrai paradoxe : nous ne soutiendrions pas les industries à forte valeur ajoutée. Ce qui fait la pertinence du développement de l’innovation en Allemagne, c’est la capacité des Allemands à associer très vite le tissu industriel et la recherche. Le tout, avec un coût du travail inférieur et de nouvelles pratiques innovantes. Ainsi, il faut à la fois stimuler l’innovation et développer un écosystème favorable.

 

Question: Comment le modèle français d’innovation et création de valeur peut-il évoluer pour réussir à innover plus avec moins grâce à des processus collaboratifs multisectoriel et une co-gouvernance entre toutes les parties prenantes y compris le territoire? Comment envisager ainsi la collaboration des acteurs de l’innovation des différents secteurs ou départements?

 

Patrick Hetzel: En matière d’investissements en recherche, la France se situe au 5e rang mondial. En revanche, nous nous trouvons en 16e position concernant l’innovation. Les raisons ont déjà été évoquées : la vitesse et les barrages culturels sont les éléments-clés. Nous devons aller plus vite. Par exemple, en Alsace, nous  mettons en place un écosystème favorable à l’innovation autour de l’université de Strasbourg, et au-delà de nos frontières. En effet, à proximité, nous avons l’Université d’Heidelberg, le Karlsruhe Institute of Technology ou encore l’université de Fribourg. Nous poussons les laboratoires qui développent de la recherche fondamentale à créer des innovations le plus rapidement possible en liaison avec les entreprises de notre territoire, autant que possible. Notamment grâce à une société d’accélération du transfert technologique (S.A.T.T.) locale : Connectus.

 

Question: Pendant longtemps on a opposé les approches Tech Push aux approches Market Pull. Comment envisager l’innovation en partant des besoins du grand public à travers une « Hybridation Market Pull Tech Push » ? Les producteurs et les innovateurs devraient-ils à votre avis mobiliser davantage les outils de compréhension de la demande nationale et internationale révélant les besoins de notre société ? Comment envisager des outils de « réduction ou compensation de ses asymétries » (Springer Encyclopedia) comme les « Contrats à risque et bénéficies partagées » entre les parties prenantes, les outils de compréhension et expression des besoins de la société, par exemple l’échelle de maturité de la demande DRL (Demand Readiness Level, Springer, 2013)?

 

Il est clair que la philosophie du « Demand Readiness Level » n’est pas suffisamment développée dans la pratique. Nous restons souvent ancrés dans une approche très conventionnelle de la création de richesse là où en fait il faut combiner deux logiques qui ne sont pas à opposer, car elles sont complémentaires : il s’agit du « market push » et du « market pull ». Elles ne sont pas antagonistes, mais « ago-antagonistes », c’est-à-dire qu’elles ont besoin l’une de l’autre. Comme un être humain marche sur deux pieds, l’innovation et la création de richesse se fait à la fois avec une démarche « pull » ou « market driven » et une démarche « push » ou « product driven ». Cela je l’ai déjà montré dans des travaux de recherche sur l’innovation parus dans la revue Française de gestion il y a plus de vingt ans, en étudiant par exemple le fonctionnement de l’entreprise japonaise Kanebo. Ce qui est surprenant, c’est que ces constats d’il y a vingt ans restent d’une grande actualité. Mais désormais, nous n’avons plus de temps à perdre, nous devons tout faire pour gagner la bataille de l’innovation mondiale qui est devenue une véritable course contre la montre.

Lire l'interview dans le livre: 

"Tous Entre-preneurs ! La croissante du 21eme siècle a l'heure entrepreneuriale". Editions L’Harmattan, Dr. Florin Paun, 2014

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